CONVERSATION AVEC MON OREILLER

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Conversation avec mon Oreiller, Questions au Témoin Internalisé

Article-témoignage co-écrit par Valérie David-Bellouard et Catherine Mengelle

Bordeaux, atelier « Club de Vie et Re-membering » de La Fabrique Narrative, animé par Pierre, novembre 2014. Valérie est participante et Catherine prend ses marques pour animer le niveau 1 prochainement. Le premier jour a été consacré au concept du « club de vie » et à l’idée de repositionner et/ou « upgrader » certains membres, selon leur capacité à soutenir notre histoire préférée. Ces membres peuvent être vivants ou disparus, réels ou virtuels, des personnes, des personnages, des animaux, et même des objets…

Valérie commence à penser à son Oreiller de petite fille et à se demander si elle ne pourrait pas l’inclure dans son club de vie personnel. Elle en évoque le souvenir lors d’un exercice en trinôme destiné à tester la carte de « re-membering ». Le lendemain, Pierre entraîne le groupe un peu plus loin et présente le processus des « questions au témoin internalisé », processus développé par Michael White et David Epston, présenté par ce dernier à Bordeaux en 2013. Depuis la veille, Valérie est restée en contact avec son Oreiller. Elle a très envie de tester ce genre de conversation.

Catherine : Valérie, est-ce que tu te rappelles ce qui fait que tu as eu envie de participer à une conversation à laquelle Pierre t’a proposé de convier également ton Oreiller ?

Valérie : Quand Pierre a évoqué le club de vie, je me suis tout de suite connectée à ces moments particuliers où j’étais seule dans mon lit, enfant, et que j’évoquais ma colère contre mes parents et mon chagrin de me sentir seule. À l’époque, je ne parlais pas directement à mon Oreiller (cela m’aurait effrayée !). J’ai eu l’occasion de revenir sur ces sentiments et d’évoquer ces scènes au cours d’une thérapie que j’ai faite. Ils n’étaient donc pas très loin dans ma mémoire. Quand j’ai entendu qu’il pouvait y avoir des doudous dans le club de vie, il était clair pour moi que mon Oreiller en faisait partie. J’ai perçu alors que pendant ces moments de solitude, je n’avais été complètement seule : je pouvais les réhabiliter dans ma mémoire, et ça c’est cadeau ! À ce moment-là, j’ai vraiment eu envie de participer à une conversation avec mon Oreiller.

Catherine : Je ne sais pas si tu te souviens, mais ce genre de conversation me laissait un peu perplexe. Je me demandais quel était l’intérêt que le thérapeute s’adresse à ton Oreiller « à travers toi », plutôt qu’à toi directement. En effet, nous utilisons déjà dans nos conversations la possibilité de demander aux gens ce qu’ils penseraient qu’un personnage « re-membré » dirait ou se rappellerait ou pensait à l’époque, etc. En quoi est-ce que le fait de passer par un procédé plus complexe, où la personne doit répondre à la place du personnage, serait plus intéressant ? N’était-ce pas un peu artificiel ? Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Quel est le sens de cet exercice ? Voilà les questions que je me posais. Que s’est-il passé pour toi quand ton Oreiller est entré dans la conversation, sur l’invitation de Pierre et avec ton accord ?

Valérie : Ce que j’ai vécu, c’est une expérience très forte, je me sentais très à l’aise de parler à la place de mon Oreiller, c’était vraiment agréable. Je n’avais plus de censeur, une distance qui me permettait d’être moi-même à l’intérieur de moi, une étrange sensation. À la fois, les questions ne m’étaient pas directement posées, et à la fois, je pouvais y répondre du plus profond de moi. Cette « triangulation » m’a permis d’être en contact avec tout mon être en faisant tomber les résistances. La « présence » de mon Oreiller me remettait sûrement dans une configuration connue, où je pouvais être en totale confiance comme je l’étais petite dans mon lit. Pour recréer ce lien, j’ai eu besoin de fermer les yeux, de visualiser ces moments que j’ai vécus dans mon lit avec mon Oreiller. Quand la question était trop haute, aussitôt je rouvrais les yeux, avec ce sentiment inconfortable de « flotter », d’être rattrapée par le « ici et maintenant » avec le groupe qui y assistait. J’y retournais cependant avec plaisir dès que la question était accessible. Aujourd’hui, je me dis que ce qui a été important dans cette expérience, c’était aussi de donner de la valeur à ces moments d’expression de tristesse de mon enfance. Comme si ces moments, qui étaient historisés comme des moments de solitude, sortaient de cette catégorie solitude et pouvaient devenir des moments de mon histoire préférée. Et c’est ce qu’ils sont aujourd’hui.

Catherine : Eh bien dis donc… Je me rappelle de mon côté, simple témoin, avoir vécu un moment hors du temps. Lorsque la conversation entre Pierre, ton Oreiller et toi, s’est terminée, je ne savais plus si nous étions le matin ou l’après-midi, si nous avions déjà déjeuné ou pas. Toutefois, si Pierre t’avais directement interviewée, toi, Valérie, sur la relation entre ton Oreiller et cette petite fille, qu’est-ce qui, à ton avis, aurait été si différent ou moins intéressant pour toi ? Je suppose qu’il y a dans ce type de conversation un important effet hypnotique. Qu’en penses-tu ?

Valérie : Il me semble que cela aurait plus « plat ». Il y a eu une progression : comme je l’ai dit, en thérapie, j’avais revisité les sentiments vécus petite dans mon lit. Ce travail en amont m’a permis d’ailleurs de ne pas être débordée par mes émotions lors de cette expérience nouvelle. Puis, quand Pierre a parlé du club de vie, penser que mon Oreiller y avait sa place me faisait réaliser que j’avais pu me créer un espace où je n’étais pas « que » seule : et comme Pierre le disait, cette constatation venait déjà enrichir mon histoire préférée. Ce qui a été différent pour moi avec la « triangulation », c’est que mon intellect ne contrôlait plus. Je ne serais pas arrivée aussi facilement à la pensée positive dite par mon oreiller car j’y résistais depuis longtemps. Avoir parlé au nom de mon Oreiller m’extrayait de « l’ici et maintenant », et me mettait en contact avec ce qu’il y avait au fond de moi, sans accès à mes résistances. Je me souviens que mon oreiller a répondu à une question de Pierre : « elle (Valérie) ne va pas aimer l’entendre … ». Quelle façon douce d’accéder à ce à quoi on peut mettre tant d’énergie à résister !

Alors, oui, on peut parler d’un effet hypnotique : en fermant les yeux et me laissant guider par les questions posées, j’étais bien dans un état de conscience modifié qui a permis la levée de mes résistances et a vraiment opéré une brèche dans mon paysage de l’identité.

Merci de m’avoir permis de vivre cette expérience !

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