La Narrative est elle soluble
dans les micro-cartes ?

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L’enseignement de l’approche narrative en France est essentiellement fondé sur la maîtrise des “micro-cartes”, outils pédagogiques qui ont permis à Michael White de formaliser sa pratique afin de la transmettre.

Ces micro-cartes sont des sortes de schémas globaux de différents types de conversation narratives, qui permettent au praticien d’avoir des points de repère et de s’orienter à l’intérieur de ces conversations de façon, d’une part, à mieux comprendre ce qui s’y passe et d’autre part, à la faveur d’une métaphore “conversation = voyage”, devenir capable de forger des questions qui emmènent le client dans des endroits où il ne serait jamais allé, favorisant ainsi une description riche d’histoires alternatives.

Mais voir l’approche narrative uniquement sous cet angle risque de polariser l’attention des nouveaux praticiens sur les cartes, l’application des cartes, l’orientation dans les cartes, le respect des cartes, et de perdre de vue l’essentiel d’une conversation thérapeutique qui est de favoriser chez le client l’émergence d’une compréhension intentionnelle (se substituant aux compréhensions internes de type névrose, symptômes, caractère, traits de personnalité, etc. proposées par les traditions psychologiques classiques) et de renforcer son sentiment d’initiative personnelle.

Ce risque est encore renforcé par le fait que les cartes constituent le seul corpus constitué directement orienté vers l’apprentissage d’une pratique opérationnelle, dans les formes classiques dominantes de l’apprentissage scolaire ou universitaire. Après la mort de Michael White en avril de l’année dernière, de nouvelles cartes ont été proposées par ses successeurs australiens, plus complexes que les 5 cartes de base, comportant plus d’étages et d’étapes, spécifiques à une problématique (la carte du sentiment d’échec…) Le danger est de voir apparaître une sorte d’ingénierie pédagogique de production de micro-cartes orientées vers le traitement expert de telle problématique au lieu de se borner à être des outils de détection et d’enrichissement d’identités préférées.

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dans les micro-cartes ?
 

Power of song 2.0

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Lui, c’est Bobby Lapointe, chanteur un peu fêlé et parolier virtuose très connu dans les années 60 et un peu passé de mode.

Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre ses refrains les plus connus (“Avanie et Framboise”, “la maman du poisson”, “Madame Mado m’a dit”…) dans la sono d’une baraque de sandwichs de Saint-Lary (Pyrénées). Je m’en étonnai. Le tout jeune homme qui tenait la boutique était ravi que j’aie reconnu. “Je connais toutes ses chansons par coeur, m’expliqua t-il. Les chansons de Bobby Lapointe, c’est toute mon enfance ; quand on allait de Paris à la Méditerrannée, mes parents les passaient en boucle tout le temps”. Et en disant ça, des larmes brillaient dans ses yeux.

Ceci m’a ramené à Adelaide et au séminaire “Power of song” enseigné par David Denborough. “Les chansons sont les bandes originales de nos vies”, disait-il, en nous proposant l’exercice de faire notre récit de vie par les chansons plutôt que par les événements. Se souvenir des chansons clés qui ont marqué telle ou telle période de notre vie, retrouver ce qui nous a marqués dans ces chansons, et à quoi elles sont associées, et comment elles résonnent avec ce qui est important pour nous. Et nous obtenons une partition très intéressante avec les chansons en clé de sol sur le paysage de l’action et en clé de fa, le paysage de notre identité telle qu’elle a été imprimée et exprimée par ces chansons qui nous ont tant marqués, et que nous aussi, nous écoutons les yeux dans le vague, sourire aux lèvres, ramenés physiquement à l’époque qu’elles ont codée. La musique est une machine à voyager dans le temps.

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Culture majoritaire et voix minoritaires

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Est-il inévitable que dans une culture d’entreprise, le désir de cohésion impose d’exclure des cultures minoritaires ou différentes ?

Le travail sur la reconstruction identitaire et culturelle dans les organisations nous amène souvent à être confrontés à des situations où une culture dominante s’affronte à des voix minoritaires, ces dernières luttant pour se faire entendre et la première envahissant tout l’espace disponible. Y a t-il une solution meilleure que l’autre, dans un système où la méta-culture dominante de la performance et de la concurrence tend à écraser toute vision divergente ?

D’un côté, la perspective d’un fédéralisme qui serait un collage de cultures communautaires locales liées à des territoires géographiques, ou bien des épisodes historiques partagés, ou bien encore des défis, particularités, leaders ou ennemis locaux mais n’ayant plus aucun récit commun. De l’autre, le fantasme fusionnel de l’équipe commando ou de l’ashram d’entreprise, gros tas de chouettes copains où chacun est avant tout dans la relation avec l’autre, où la communauté se définit à travers des récits tellement forts que tout nouvel arrivant qui n’aurait pas vécu ces expériences fondatrices ou qui ferait entendre une voix légèrement dissonnante se trouverait rejeté par le groupe.

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Bienvenue dans la matrice

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Le film « Matrix » des frères Wachowsky décrivait un monde dirigé par des machines créées par l’homme mais qui avaient pris le dessus sur lui.

Afin de se procurer l’énergie nécessaire à leur alimentation, elles « cultivaient » l’espèce humaine dans des couveuses géantes et pour le maintenir en forme, projetaient dans son esprit… une histoire, celle que nous considérons ordinairement comme la réalité où nous avons un travail, un passé, des relations, une identité, des projets, des espoirs, etc.

Cela ne vous rappelle rien ? Michel Foucault était l’impitoyable prophète de l’histoire que nous avons créé pour oublier que nous sommes enfermés dans des couveuses géantes, notre énergie alimentant les machines économiques que nous avons créées et qui sont en train d’échapper à notre contrôle. Il avait tout vu, tout prévu. Il avait minutieusement décrit le basculement du rapport de forces, le glissement du pouvoir des Palais et des Eglises vers l’intérieur de notre esprit, un pouvoir fondé sur l’idée de normalité et sur l’auto-surveillance.

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Bonjour chez vous

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La mort de Patrick McGoohan nous donne l’occasion de nous repencher sur “The prisoner” et de réaliser à quel point cette série TV cultissime d’il y a 40 ans était puissamment visionnaire et prémonitoire.

17 épisodes seulement et pourtant, tout était dit sur le pouvoir moderne. Ancien agent secret souhaitant démissionner, Patrick McGoohan se retrouve prisonnier d’un village, version mitteleuropa déjantée du “Truman Show”, où tout le monde est jovial, se consacre à des activités de loisirs sociales et anodines, porte des canotiers et des vestes à galons, et parle uniquement de la pluie et du beau temps. Des haut-parleurs et des radios branchés en permanence diffusent des résultats de tombolas, des bulletins météo et de la musique militaire.

Mais des caméras omniprésentes (planquées notamment dans les yeux des statues !) retransmettent les moindres faits et gestes des “villageois” vers une salle de contrôle ultra-sophistiquée où de mystérieux surveillants exercent le pouvoir dans l’ombre à la recherche de la moindre déviance, du moindre comportement anormal.

Le pouvoir moderne, rappelons-le, est un concept central de la philosophie du pouvoir de Michel Foucault, repris par Michael White qui en a fait l’un des piliers de l’approche narrative et le fondement de sa dimension politique. Là où le pouvoir classique est exercé de l’extérieur par la coercition et la répression, le pouvoir moderne est exercé de l’intérieur par l’individu lui-même, invité à s’auto-contrôler, s’auto-évaluer et s’auto-surveiller en permanence. Le pouvoir classique est fondé sur la loi, le pouvoir moderne sur la norme.

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Une renarration définitionnelle

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Cette nouvelle section intitulée “retellings” proposera des renarrations définitionnelles réalisées au cours de mon travail avec les communautés, les équipes et les personnes.

Le texte ci-dessous est un montage définitionnel des propos tenus par les 24 témoins interviewés lors du premier anti-colloque de l’Association Européenne de Coaching qui a eu lieu à Bordeaux le 10 octobre 2008. Le thème en était : “le coach dans la cité” et la question centrale de savoir quel peut être le rôle des coachs dans la vie de la société.

“Résister

Nous sommes des résistants qui encouragent les résistances. Notre métier nous amène à pratiquer une gymnastique intérieure. Nous cultivons le respect de nos clients mais aussi le respect de toutes les différences. Nous avons un désir d’authenticité. Nous pratiquons une écoute qui ne juge pas, et nous recherchons des choses qui “marchent”. Nous croyons que les groupes sont une grande ressource et que les liens qui s’établissent entre les gens produisent de l’énergie, de la créativité, comme un vaisseau spatial qui permet de toucher les étoiles. Notre place là dedans est importante : nous devons nous rendre visibles, nous devons connaître le nom de ceux que nous aidons afin de veiller à ne pas les normaliser, mais à les conduire vers leur propre royauté. Les accompagner ne signifie pas les porter sur notre dos : notre posture est humble. Nous sommes des guerriers du silence qui font renaître la parole et la possibilité de vivre autrement.
Nous habitons ici et maintenant et soutenons les personnes et les groupes dans l’affirmation de leur singularité. Oser sortir de notre cache nous permet d’aider les autres à grandir et à se sentir fiers de raconter leur histoire. Nous sommes des passeurs entre le visible et l’invisible. Nous osons travailler partout et avec tous : papooses, guerriers et vieux chefs afin de les aider à faire refleurir leur projet et à reprendre leur place dans leur vie et dans la cité. Nous voulons faire connaître ce que nous pouvons apporter : tisser des liens et des réseaux, des réseaux avec les autres et des liens avec soi-même, ouvrir la porte d’un tas de possibles.

Notre force est d’être justes, notre talent est de voir la grandeur de l’autre, notre équilibre est d’avoir un soleil dans le ventre.”

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Le bûcher des coachs

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André de Châteauvieux nous signale par l’intermédiaire du Réseau Aquitaine Coaching la parution d’un article intéressant sur le blog de Guy Lesoeurs, un article concernant la parution d’un nouveau brûlot anti-coaching, portant le titre délicat et nuancé de “je hais le développement personnel” (par Robert Ebguy, chez Eyrolles : le lire ainsi que le droit de réponse pathétique de R. Ebguy).

La contemption des coachs va de pair avec la mode du coaching et avec une certaine représentation qu’en donne la TV réalité, représentation qui conduit certains d’entre nous à s’interroger sur le mot de “coach” et ses diverses connotations. Le moins qu’on puisse dire est que le coaching est tombé dans l’abdomen public ! Ce mot est-il toujours adapté à la description de l’activité de ceux d’entre nous qui oeuvrent non pas à asservir l’individu mais à le libérer, à le rendre auteur de sa vie, à désincarcérer ses représentations du discours dominant forgé par les grandes entreprises en utilisant les résultats des focus groups organisés à prix d’or par des cabinets d’études de marchés dont le CCA (Centre de Communication Avancée) fondé par un grand gourou du marketing des années 70-80 (Bernard Cathelat) et donc notre auteur, le fameux Robert Ebguy, est un collaborateur salarié ! L’homme qui pourfend le développement personnel est donc un salarié d’une boîte d’études qui vend aux grandes multinationales des enquêtes de motivation des consommateurs visant à mieux les comprendre pour leur fourguer un peu plus de petits suisses. Joli, non ?

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Remembrement partiel avec un versant du personnage

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Dans la pratique du regroupement (ou remembrement), chaque personnage peut offrir plusieurs possibilités et plusieurs lignes de récit.

En technique narrative, la conversation de regroupement (« remembering conversation ») est une conversation qui permet au client de restaurer et de renégocier son lien avec une personne de son « club de vie », ce qui aboutit à réorganiser ce club en promouvant certains membres importants dans la naissance et le développement d’une version de l’histoire menant à une description riche de l’identité du client. La réorganisation de l’identité va de pair avec la réorganisation du club. Le mot « remembering » joue en anglais sur ses deux sens : il signifie à la fois « se souvenir » et « re-member», remettre des membres du club à leur juste place. Ce qui fait que pour ma part, le mot « remembrement » me semble plus proche de l’anglais que « regroupement ».

Fondée sur le fait que « l’identité est un projet social » (M. White), elle permet de décrire et de reconnaître les contributions à l’identité du client de certaines figures importantes dans sa vie, parents, éducateurs, amis, mais également doudous, animaux domestiques, personnages de films ou de séries TV, figures de la culture populaire. Mais elle permet également, et ce n’est pas le moindre de ses intérêts, de montrer comment le client a contribué en retour à la vie et à l’identité du personnage. L’objet de ce post n’est pas de décrire en détail les conversations de remembrement mais de parler d’une option de remembrement avec une partie, un versant d’un personnage qui fait partie aussi (mais pas seulement) de l’histoire dominante, voire qui a joué un rôle très important dans sa mise en œuvre et dans sa diffusion.

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Meredith Grey, Harry Potter : même combat !

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Nous vivons dans un monde sans magie et nous avons besoin de nous en procurer aux sources estampillées des histoires humaines.

Certaines séries, par leur succès mondial, nous donnent à penser sur ces histoires qui résonnent tellement fort dans nos vies que nous aimons leurs personnages comme des membres de notre propre famille, des amis que nous retrouvons épisode après épisode, que nous voyons grandir, évoluer, triompher de leurs problèmes et de leurs ennemis, se connaître, s’aimer, se séparer… tandis que notre voisin d’appartement meurt dans une solitude absolue, à moins qu’il n’ait été expulsé de son appartement par la dégringolade sociale et ses employés (huissiers, banquiers, propriétaires) et meure dans une solitude absolue congelé sur le trottoir d’en face. Mais là n’est pas le propos, même si c’est important.

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Anti-voeux

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Présenter des vœux, n’est-ce pas célébrer de façon un peu ironique chaque kilomètre d’une autoroute sur laquelle on est lancé à 200 à l’heure ? Un hommage ritualisé qui confèrerait à ces étapes kilométriques un caractère joyeux et festif, où les bornes deviendraient des totems débonnaires et démonétisés autour desquels chaque membre de la tribu ferait mine de se réjouir du compteur qui tourne. On en profiterait pour parfaire notre sentiment d’appartenance, tant il est vrai que compter en cœur les secondes qui nous séparent de minuit, c’est déjà, au sens le plus littéral, vieillir ensemble.

Dans les vœux d’entreprise, une nouvelle intention vient se superposer à ce qui précède : celle d’une recherche formelle d’élégance, de créativité, de luxe, d’humour, d’authenticité, etc. qui, par la façon dont les vœux d’entreprise sont mis en scène, ambitionne de dire quelque chose de l’identité de l’entreprise, dans un style cohérent avec l’image qu’elle a d’elle-même et qu’elle veut donner à voir. Les vœux sont donc un récit identitaire de l’organisation qui les propose. Telle est du moins leur ambition.

Présenter ses vœux, c’est donc prendre une position, puisque l’on souhaite quelque chose à l’autre ; un quelque chose qui parle uniquement de vous tant il est vrai que, comme le disait à peu près Lacan, « l’amour, c’est donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Dis moi ce que tu me souhaites et je te dirai ce que tu vœux. Pensez-y lorsque vous recevrez les cartes de vos fournisseurs qui vous souhaitent de belles affaires.

Ayant établi que les vœux servent de véhicule au désir, reste à faire émerger notre désir pour 2009 et par le même tour de passe-passe, à vous le proposer sous forme de souhait pour vous. Les génies des lampes octroient 3 vœux. Les vœux des génies se réalisent par contrat, ce sont donc des commandes, ce qui n’a rien à voir. La fragilité du vrai vœu, le risque pris ou la liberté donnée qu’il ne se réalise jamais parce que son récipiendaire n’en a rien à faire, là réside sa véritable dignité. 2009 s’annonce comme une année compliquée pour tout le monde. Je vous souhaite de trouver la voie vers la simplicité.