Lettre d’Australie : La B.O. de notre vie

Aujourd’hui, séminaire avec David Denborough, qui a passé vingt ans à travailler comme « barde » sur les rassemblements communautaires organisés par Michael White en écrivant des chansons à partir des récits des participants sur ce qui les soutient et leur donne de la force.

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Cet atelier nous donne l’occasion de nous arrêter un moment pour considérer cet objet usuel qui nous accompagne dans notre vie de façon tellement constante, quotidienne, parfois obsédante qu’on n’y prête plus attention : les chansons. Les chansons qui sont sacrées dans la plupart des civilisations et qui dans notre culture occidentales, sont devenues à la fois des marchandises (comme tout) mais des marchandises démonétisées de leur poids de sagesse et d’âme, des « variétés » consacrées à nous divertir au sens pascalien du terme au lieu de nous ramener vers le centre du cercle en nous permettant de mieux réussir cette chose impossible qui est de dire quelque chose de nous. Les chansons qui ont compté pour nous sont la bande originale de notre vie. Une machine à voyager dans le temps aussi, lorsque nous réécoutons une chanson que nous passions en boucle à une époque et que nous retrouvons l’ensemble des sensations correspondantes.

Les chansons parlent de façon privilégiée de résistance, de lutte, de liberté, elles sont la réponse des peuples à l’oppresseur qui brise les mains des guitaristes pour les faire taire. Composer des chansons à partir des récits de participants à un travail narratif, c’est épaissir la nouvelle histoire mais également donner l’occasion de l’interpréter ensemble sous une forme où l’émotion vient s’accorder au sens. Interroger les chansons qui émeuvent nos clients, le sens qu’ils leur donnent, la façon dont elles reflètent ce qui est important pour eux et dont elles les ont aidés à développer leurs espoirs et leurs résistances, c’est une porte ouverte vers la construction de la deuxième histoire car les chansons sont en prise directe avec ce qui résiste en nous, les écouter et les fredonner avec plaisir étaye cette résistance. Les chansons, variétés anodines, ont souvent échappé au travail d’obstruction et de censure des histoires dominantes. Petites berceuses ou grands opéras, elles sont partout autour de nous, il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser et les remettre à leur place d’interprètes de l’âme des peuples musiciens et des anges électrocutés dont elles sont parfois l’unique voie de communication avec le monde.

Lettre d’Australie : un chemin initiatique

Suspendu dans ce gigantesque nulle part qu’est l’espace de transit de l’aéroport de Singapour.

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Une version moderne des limbes puisque le transit est un non-moment, une simple parenthèse de silence entre deux trajets, du temps suspendu. Quoique finalement, c’est faux. C’est comparable aux non-moments de nos clients que nous leur proposons de se réapproprier pour les transformer en vrais moments de vie vivante. Par exemple : à la boulangerie. Au lieu de guetter, de râler, de fulminer après cette dame âgée qui met du temps à récupérer sa monnaie, se dire : “c’est un moment de ma vie, il est précieux, je vais le recycler, je vais en faire du temps pour moi, pour regarder autour de moi, me sentir respirer, me brancher sur le battement de coeur du monde à l’extérieur de moi et sur le fait de faire partie de ce monde.” Et respirer.

Et je me souviens du moment où tout cela a commencé, dans le petit bureau de Fabrice Micheau, à Cenon, fin 2004. “Tu as entendu parler des pratiques narratives ?”, m’avait-il demandé. “Toi qui es à la fois coach et écrivain, ça pourrait te brancher”. L’été suivant, j’étais inscrit au séminaire de Michael White. Et je ne dirais pas que ma vie a changé tout de suite, genre grand éclair de feu. En fait, je n’ai pas compris grand chose. Mais je sentais bien que c’était énorme. La compréhension est venue plus tard, peu à peu, en pratiquant et en voyant mes clients devenir auteurs de leur vie, se redresser et reprendre contact avec leur identité, retrouver ce qui était vraiment précieux dans leur vie, verser des “larmes de retrouvailles”, pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux.

A un moment, j’ai décidé de faire ça pour le reste de ma vie. Je n’étais pas spécialement doué, j’ai dû m’accrocher, bosser comme un fou sur les cartes, les questions. Heureusement, mes clients m’ont tout le temps aidé. Les individus, les équipes, les communautés : ils nous montrent le chemin car c’est leur territoire que nous les aidons à conquérir.

Et au bout d’un moment, le chemin du praticien narratif passe par l’Australie, comme je suppose celui du systémicien par Palo Alto (et celui du psychanalyste par Vienne ? mmm, je ne sais pas…) Il y a sans doute une dimension, comment dire… initiatique ?

Devenir roi

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C’est une toile d’une artiste qui s’appelle Anne de Buttet. L’une des images d’une série intitulée “les porteurs”.

Que portent ces porteurs ? Leur fardeau d’humanité, leurs histoires, leurs problèmes, leurs espoirs, leurs rêves, leurs déceptions… ils portent leur vie et ses histoires grandes ou petites. Les autres tableaux de la série (on peut les voir sur le site – lien obsolète – de l’artiste) sont plus sombres. Ils mettent en relief la part d’ombre et de chagrin, mais sans jamais gommer entièrement l’étincelle d’espoir, la force de vie, la fine trace d’une histoire alternative qui pourrait naître des mêmes traits. Ce personnage touché par le soleil est le dernier de la série, celui qui est allé le plus loin sur le chemin. Il est devenu roi, il a conquis sa propre royauté intérieure, celle de sa vie et celle de lui-même.

Ce concept de royauté intérieure a émergé au cours des ateliers de l’Anti-Colloque de l’Association Européenne de Coaching en Aquitaine, le 10 octobre dernier. Le thème en était “le coach dans la cité” et des réponses communautaires ont été esquissées au cours d’ateliers narratifs, dont l’une d’entre elles, extraite du texte définitionnel final : “notre métier est d’accompagner les gens vers leur propre royauté” (l’auteur de cette expression est à l’origine Olga Werber-Wood, rendons à César…) Cette idée magnifiquement exprimée par ce personnage et rejoint l’un des concepts clés de l’approche narrative qui est celui de “personal agenda”, le sentiment d’initiative.

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Comprendre et pratiquer l’approche narrative

Concepts fondamentaux et cas expliqués
Coordinateurs : 
Pierre Blanc-Sahnoun, Béatrice Dameron

Collection: Développement personnel et accompagnement, InterEditions
2009 – 320 pages – 155×240 mm
EAN13 : 9782729610258 – Prix TTC France 28,50 €

Venue d’Australie, l’approche narrative, créée par Michael White et David Epston, se fonde sur notre aptitude à fabriquer des histoires pour donner du sens à notre quotidien, à notre identité et à notre vie. Elle ouvre un champ novateur pour la pratique de la thérapie et du coaching. Posant un nouveau regard sur la civilisation moderne et les pratiques de contrôle de l’individu, elle offre des options et des initiatives étonnantes aux thérapeutes, coachs, travailleurs sociaux, consultants, éducateurs et, de façon générale, à toute personne travaillant dans le champ de l’accompagnement. L’ouvrage coordonné par Pierre Blanc-Sahnoun et Béatrice Dameron se propose de faire appréhender concrètement, à travers la diversité des exemples transcrits, son efficacité en coaching, le type de travail qui s’effectue et la relation qui se noue entre le praticien et son client.
Il comprend aussi un texte original de Michael White, auteur pratiquement inédit en France.

Sommaire 

Introduction de PB-S et BD Les pratiques narratives et la psychologie populaire (Michael White) Pratique et expériences  Histore d’un premier entretien (BW) Moments magiques de la vie ordinaire (CBS) Hadrien, Vincent et Benoit en situation de stransition professionnelle (Ld’A) Eric qui trace la route ! (MG) Changement de cap (FMN) L’approche narrative : une autre façon de penser et faire se raconter une entreprise (BA) Le glouton ou le monstre de la boulimie (ML) Goodbye Mike, bonjour la Créativité (EF) L’utilisation des pratiques narratives sous forme d’exercices écrits lors d’un bilan de compétence (LA) Utilisation de l’approche narrative combinée à  la méditation par la photographie (XB) La place narrative dans le coaching de groupe (BH) Accompagnement d’une classe de BTS (A-CB) Une approche narrative du conflit en thérapie de couple et en médiation familiale (JR) Charlotte (Ld’A) Histoire d’une confusion entre les mots du droit et l’état des choses (M-CC) Des histoires alternatives pour un projet de vie: l’accompagnement de Virginie (A-CB) Les cérémonies définitionnelles : des transports singuliers (A-CB, CA-V,M-CC,BD) Un accompagnement narratif d’une communauté professionnelle confrontée à un suicide (PB-S) Conclusion de PB-S et BD

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Ne stressez plus !

Chacun donne le meilleur de lui-même quand il n’a plus besoin de stresser. Une chronique de PBS (“Newzy”, septembre 2008) controversée par certains coachs et psys spécialistes du stress qui s’accrochent à l’idée du “bon stress”…

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Certaines critiques du coaching ne sont pas fondamentalement dénuées de fondement. Ainsi, celle développée notamment par Roland Gori de faire oeuvre de normalisation sociale, c’est-à-dire d’être les agents involontaires (ou opportunistes) d’un système qui pousse les managers à la conformité disciplinée à l’égard du dogme de la performance obligatoire. Je trouve que l’histoire du « bon stress » et du « mauvais stress » en est une illustration intéressante.

Il existe en effet une espèce de culture du sens commun managérial qui s’est développée ces dernières années, selon laquelle, grosso modo, un peu de stress, c’est du bon stress : il vous aide à relever les défis, améliorer vos performances, avoir des idées, de l’endurance, du culot, etc. C’est une sorte de doping naturel non seulement acceptable, mais nécessaire pour aider le manager à répondre aux nombreux challenges de son environnement, forcément « stressant », exigeant un dépassement de soi permanent (et blabla, etc.)

Le mauvais stress, par contre, c’est celui qui bouche les artères, qui dézingue les anévrismes, qui coince le dos, qui vous réveille à 4 h du matin avec les autoroutes de l’information dans la tête… Eh bien je n’y crois pas. Il n’y a pas de bon stress. Il y a juste le stress de faire des efforts importants à longueur d’année pour atteindre les objectifs et ne pas se faire virer, et la façon dont chacun s’y prend pour s’adapter tant bien que mal… Continuer la lecture de Ne stressez plus ! 

White Michael

  • Se réengager avec son histoire, l’absent mais implicite : traduction Béatrice Dameron, sur son site Croisements Narratifs, voir ici (lien obsolète).
  • Dire bonjour à nouveau : l’un des textes clés de Michael White traduit par Béatrice Dameron et disponible sur son site Croisements Narratifs : voir ici (lien obsolète).
  • Extrait des « workshop notes » de Michael White, un texte magnifique sur la fonction de la plainte et les compétences de résistance de ceux qui sont exposés à des traumas intitulé « attending the consequences of trauma » (« au chevet des conséquences du traumatisme »), avec l’aimable autorisation du Dulwich centre, traduit de l’anglais par Pierre Nassif, voir ici
  • “Redevenir auteur” : un article ultra-classique et lumineux sur le reauthoring, démarche la plus centrale des pratiques narratives, extrait des notes d’atelier de Michael White publiées en septembre 2005 sur le site du Dulwich Centre et traduit de l’anglais par Pierre Nassif : voir ici.